Salomé Melchior
Par Sophia Gaillard, Paris, le 22 mai 2025
La première édition du Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation rendait hommage au poète et universitaire Habib Sharifi, à travers son poème : « La Saison Verte ». Salomé Melchior figure parmi les lauréats de cette saison 2022-2023, dans la catégorie « Poésie et Danse ». Rencontre avec l’artiste polyglotte franco-autrichienne de 28 ans : une créativité plurielle, entre paroles et musicalité des mots, au service de l’émotion.
Comment vous définissez-vous en tant qu’artiste ?
Je suis une danseuse, poète et photographe, en quête de beauté. Je fais de la « street photography » : je m’inspire énormément de la ville de Paris pour mes photos de rue. L’atmosphère de la nuit est au cœur de mes séries. J’associe ensuite des poèmes aux photos. Pas comme un texte explicatif, mais plutôt comme la continuité de deux expressions artistiques différentes, qui font partie d’un même univers et qui racontent la même histoire. C’est lorsque j’ai exposé mes photos dans la Galerie de l’Europe (55 rue de Seine Paris 6), que je me suis rendu compte que mes productions rappelaient le mouvement des corps et le lien avec la danse.
Le monochrome est omniprésent dans votre travail, ce qui lui confère un aspect très classique et nostalgique à la fois. A quand des nuances de couleur ?
Certainement avec une ville différente ! Le travail de la couleur pourrait correspondre à un retour à Vienne, ma terre natale, celle de l’enfance. L’histoire de cette ville autrichienne, au cœur de l’Europe, est un savant mélange de discrétion avec quelque chose de grandiose.
Vos prises de vue des rues de Paris, dans la pénombre de la nuit et travaillées en noir et blanc ont quelque chose de très « hitchcockien ». Est-ce un « Vertigo » qui vous anime ?
C’est tellement ça ! J’ai été marquée par les films d’Alfred Hitchcock, que je regardais enfant avec mes parents. Il y a une vitesse et un vertige dans sa manière de filmer, qui transportent le spectateur, mais qui évoquent aussi la peur. C’est l’idée de sortir de sa zone de confort, au risque de perdre ses limites et ses repères. Dans le fond, ma vocation ultime, en tant qu’artiste serait d’être actrice. J’avais d’ailleurs intégré le Cours Florent : une expérience qui m’avait confortée dans le sentiment, qu’incarner des personnes sur une scène de théâtre ou au cinéma était vraiment ce qui me touchait le plus. J’aspire aujourd’hui à explorer davantage le théâtre et le cinéma.
C’est pourtant dans la catégorie « Poésie et Danse » que vous avez candidaté pour le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation ?
Exactement ! Comment rester insensible à ce poème vibrant d’Habib Sharifi : « La Saison Verte » ! Il m’avait inspiré un texte : « Le Chant des Hirondelles », que j’ai d’abord écrit en italien. Puis, j’ai pu être accompagnée au piano par le compositeur iranien Amin Ebrahimi, également lauréat de ce Prix. Cette alliance d’horizons artistiques et culturels différents a donné naissance à une production scénique originale, qui a retenu l’attention du jury. C’est là que l’aventure a réellement commencé pour moi.
Qu’est-ce que le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation a changé dans votre parcours artistique ?
C’est d’abord un moyen d’expression scénique et un élan porteur pour les artistes, notamment ceux qui ont subi l’exil. Si ce Prix m’a permis de faire des rencontres extraordinaires, il m’a surtout ouvert des portes, au sens propre comme au figuré. J’ai été invitée sur des scènes prestigieuses, afin de partager mes textes devant un public formidable. C’est un exercice très particulier, lorsque ce sont vos propres textes qui résonnent entre les murs de la Gaité lyrique ou de La Cité universitaire à Paris ! Grâce au soutien du Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation, mes textes ont voyagé dans la Drôme et nous avons rendez-vous le 1er juillet 2025 à Versailles ! Au-delà de ces performances scéniques, ce Prix m’a permis d’entrer en studio et d’enregistrer mes textes, accompagnés au piano et à la clarinette par le musicien Amin Ebrahimi. Mes titres sont disponibles sur les plateformes de streaming, dont Spotify : « la saison verte » de Salomé Melchior et Amin Ebrahimi.
La Fondation Hippocrene soutient désormais le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation, ce qui insuffle une force supplémentaire pour mieux accompagner et servir les artistes en exil. Son cœur d’intervention est le soutien aux artistes européens et aux valeurs de l’Europe, notamment l’égalité homme-femme et la lutte contre les discriminations. En tant qu’artiste franco-autrichienne et polyglotte, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Emotionnellement et intimement, je me sens d’abord Autrichienne. Venant du Sud de ce pays, je me sens aussi proche de l’Italie, dont je parle la langue couramment. J’ai fait des études universitaires à Oxford en Angleterre et je vis en France depuis plusieurs années. Aussi, le soutien de la Fondation Hippocrene me semble très important, en tant qu’Européenne et polyglotte. Il est essentiel, dans nos sociétés actuelles, de mettre en avant les valeurs de l’Europe. Elles sont fondées sur le respect de la dignité humaine, l’égalité et le partage. Au-delà de l’aspect conceptuel, c’est la notion d’entre-aide que je retiens, dans ce rapprochement avec les valeurs du Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation.
Cela permet aux artistes d’entretenir un rapport émotionnel à l’Europe.
Avec la Fondation Hippocrene, ce Prix s’enrichit d’un ancrage et d’une appartenance à l’Europe et à ses principes, pour mieux explorer le monde. C’est une excellente nouvelle pour tous les artistes !
Parlant d’Europe et de vos racines autrichiennes, quel vers du poète Habib Sharifi aurait une résonnance particulière pour vous, dans la langue de Goethe ?
Il se dégage un je ne sais quoi de très serein et de chantant à la fois, dans le poème d’Habib Sharifi « La Saison Verte ». Il touche à une musicalité, qui m’a fait penser par moment à ma langue maternelle. J’ai traduit ainsi un de ses vers en allemand.
« Je connais les histoires anciennes » par « Ich kenne die alten Geschichten »
Je trouve que cela renvoie à la parole mélodieuse et à la musicalité des mots. Ces histoires anciennes, c’est aussi une part de notre identité. Cela fait partie de notre héritage, d’où que nous soyons et quelque soit la langue, dans laquelle cette émotion est traduite. Ce vers a une dimension très universelle.
Quel conseil donneriez-vous à des artistes européens, qui hésitent à postuler pour le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation, soutenu désormais par la Fondation Hippocrène ?
En tant qu’Autrichienne et lauréate du Prix, je dirais qu’il ne faut pas s’auto-censurer. En tant qu’artiste, il ne faut pas mettre ses ressources et ses blessures en sourdine. Devenir lauréate a été une joie et un trac inouïs, en même temps. Amir Sharifi, le président et fondateur de ce Prix, a su reconnaître mon potentiel, au-delà de mes diplômes universitaires et de ma formation très classiques. Cela m’a permis de me confronter à moi-même et de me mettre à l’épreuve de mes vocations artistiques.
Grâce à tous ces partenariats, ce Prix se donne vraiment les moyens de soutenir et de porter les artistes, dans la réalisation et la concrétisation de leur projet, dans des conditions exceptionnelles. C’est une chance !
Je dirais enfin que ce Prix ouvre aussi une porte en soi-même, qui laisse passer la lumière dans nos zones d’ombres intérieures. C’est un cadeau, qu’il faut s’autoriser à recevoir !